Un maire du pays bigouden contre les pêcheurs de tellines, au nom du tourisme et de l’environnement

, par  LAGARDE, Virginie, LE SANN Alain

Une pêcherie fragile
Les pêcheurs à pied de tellines ne sont plus guère qu’une vingtaine, dont 4 à 5 femmes, peu de jeunes. Ils étaient une cinquantaine, il y a encore 10 ans et bien plus nombreux avant (trop). Une fois par jour, 4 jours par semaines, ils s’installent sur l’estran pour pêcher à la marée descendante et en début de marée montante, soit 6 heures par jour. Ils pêchent avec une petite drague de 40 kg environ qu’ils tirent à reculons à l’aide d’un harnais. C’est donc une activité très éprouvante physiquement. Ils ont le droit de récolter jusqu’à 80 kg par jour, quota mis en place par la profession sur avis scientifique et sur des gisements précautionneusement suivis. Pour travailler, il leur faut donc accéder à la plage avec un véhicule 4 x4 afin de pouvoir s’équiper, amener leur matériel et acheminer, de façon respectueuse, leur récolte. Impossible pour eux de faire des centaines de mètres, d’escalader la dune avec toutes ces charges et souvent en plein soleil. Ils utilisent deux accès dans la dune avant de rouler sur la plage pour rejoindre leur zone de pêche qui fait 7 km. « Françoise Lesecq, représentante des tellineurs, explique la « nécessité » de travailler avec ce type de véhicules : « Il faut transporter notre matériel jusqu’à la zone de pêche, ça peut peser jusqu’à 150 kg. Le faire tous les jours à pied serait impossible. [1] » Selon elle « Il veut tout simplement nous faire disparaître » [2]

Tellines dont certaines déformées pour cause de pollution

Toute cette « méthodologie » et cette pratique sont validées par les autorités, le conservatoire du littoral et les scientifiques qui les suivent. Les études d’incidences (sur les oiseaux, la dune et l’habitat), règlementaires dans le cadre des sites natura 2000 sont, bien évidemment, menées comme il se doit. Ils savent que cette dérogation pour la circulation sur le DPM est nécessaire au maintien de leur activité dans des conditions raisonnables. Ils savent aussi que cette activité est fragile et menacée par la dégradation du plancton et de la qualité des eaux.
Pour limiter les contacts avec les touristes, qui dans l’ensemble sont curieux et intéressés par cette activité, les pêcheurs et le comité des pêches souhaitent ouvrir la possibilité de pêcher la nuit durant l’été. Cela permettrait aussi de réduire la pénibilité du travail en pleine chaleur et de mieux préserver la qualité des coquillages. Des solutions ont été élaborées, avec les services de l’Etat, pour préserver les contrôles même dans les conditions de nuit.

Interdire l’accès au nom du tourisme et de l’environnement
Le maire de la commune de Tréguennec, où se situe le dernier gisement, après la disparition des gisements du nord de la baie d’Audierne et de la Baie de Douarnenez, veut interdire l’accès de la plage aux véhicules des telliniers. Selon lui, ils gêneraient les touristes, menaceraient leur sécurité, les oiseaux et l’environnement de la plage et de la dune. Les élus demandent aux pêcheurs de trouver des solutions alternatives pour transporter leur équipement et leur récolte. Mais pour les pêcheurs, il n’y en a pas, les " brouettes électriques, fonctionnant avec des batteries au lithium devraient être amenées sur site et ne franchiraient pas la dune et les tellines si chèrement récoltées à force d’homme et de femmes, ne résisteraient pas à un transport à pied en plein soleil de plusieurs heures".

En réalité, quoi qu’ils en disent [3], les élus de cette commune du pays bigouden, sont prêts à sacrifier le travail d’une vingtaine de pêcheurs à pied au nom de la priorité au tourisme et à l’intégrité de l’environnement. Ils ne s’inquiètent guère pourtant des pollutions générées par les activités polluantes sur leur commune.
On mesure ainsi à quel point le climat dans lequel s’exerce la pêche- et dans le cas présent, une pêche résiduelle et peu impactante- s’est profondément dégradé, jusques dans un pays marqué par la présence séculaire d’une pêche artisanale. Le tourisme et l’intégrité de l’environnement ont désormais la priorité, sans considération pour l’emploi et les conditions de travail de modestes pêcheurs à pied.

Alain Le Sann
Virginie Lagarde

[1In Ouest-France du 27/06/2023

[2In Le Télégramme 22 juin 2023

[3« les élus communautaires soutiennent avec force la pêche et les pêcheurs, il n’est nullement question de jeter l’opprobre sur une corporation dont on connaît les difficultés d’exercice. » in Ouest-France 27/06/2023

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