La pêche, un secteur essentiel à soutenir face aux risques de l’aquaculture industrielle

, par  CHEREL, Jacques

Aujourd’hui de nombreux points de vue vouent au pilori les pêcheurs, faisant l’impasse sur la contribution essentielle de ces hommes et femmes à l’alimentation des populations. On retrouve la même vindicte à l’égard des agriculteurs, mis dans le même panier par les inquisiteurs qui prétendent parler au nom de la nature

Quel étonnement de lire les prises de position de responsables de la planification et de la recherche en France, qui confortent les fossoyeurs des pêcheurs !
Le Haut-commissaire au plan, Monsieur Bayrou, veut accélérer la mise en place des élevages de saumon pour réduire notre déficit commercial (note du Haut-commissariat, 30/11/2023) ! Est-il conscient que cela revient à entériner les démarches de liquidation de la pêche ? Le directeur du département « Recherches du Centre d’Études Stratégiques de la Marine » Cyrille Poirier Coutansais (OF du 18/12/23) a le même discours. Les études stratégiques de la Marine n’ont-elles rien d’autres à proposer que le développement de l’élevage industriel du poisson sur le modèle agricole si décrié ?

Construction d'une usine de fabrique de farine de poisson au Sénégal. Photo Thomas Grand.d
Construction d’une usine de farine de poisson au Sénégal. Photo Thomas Grand

C’est faire fi des conditions sanitaires, des pollutions liés aux déjections et aux rejets des intrants, des conditions de maintenance des poissons dans des cages, des recours aux produits chimiques de tout ordre, des transformations génétiques des animaux qui ont un impact sur le vivant sauvage. Veulent- ils conforter la mainmise des sociétés agro-alimentaires, chimiques et financières ? Peut-on comparer l’aquaculture industrielle à l’élevage des huitres et des moules qui filtrent et assainissent les eaux marines ?

Rejets pollués d’une usine de farine de poisson au Sénégal. Photo Thomas Grand

Ces préconisations engendrent en même temps la ruine des pêcheurs d’Afrique, d’Amérique latine, du Sud Est asiatique ! L’alimentation des élevages aquacoles des pays riches, (Chine comprise), implique l’importation de farine de poisson en provenance de ces pays. Ainsi se crée un cycle de pillage des ressources de ces pays, de mise au chômage de pêcheurs, de migration des jeunes.

Dakar-Soumbedioune, fresque murale : condanné à migrer ? Photo Emmanuelle Cherel
Dakar Soumbedioune, fresque murale : condannés à migrer ? Photo Emmanuelle Cherel

Toutes les enquêtes au Sénégal montrent les effets de cette razzia !
Quelle fonction veut-on donner aux océans ? Nourrir les populations en gérant les ressources halieutiques en concertation avec les pêcheurs, les scientifiques et les populations littorales ou livrer les mers aux investissements financiers pour une exploitation industrielle tous azimuts, sous le label de la « croissance bleue » ? Les pêcheurs, de plus en plus interdits de pêche, seront-ils réduits à être des transporteurs de touristes pour admirer éoliennes ou dauphins comme cela se prépare au large de Saint Nazaire et de Saint Brieuc ? Tandis que nos sociétés commerciales importeraient toujours plus le poisson ou de farine des pays d’Afrique, de l’océan Indien, de Norvège ou d’Alaska, du Pérou ou d’Argentine pour nourrir nos élevages ou nos habitants ? Tandis que nos policiers arrêteront les migrants clandestins sans futur dans leur pays ? Sans parler du bilan carbone…

Gardons-nous des fausses routes. Arrêtons de planifier les sorties de flotte et au contraire osons jeter les bases d’une politique de transition pour soutenir les pêcheurs dans leurs efforts d’adaptation aux contraintes de décarbonation et du changement climatique. Changeons aussi nos habitudes de consommateur addict de saumon quand la mer offre tout un éventail de poissons. L’autosuffisance alimentaire impose d’aider cette filière vitale, en créant les conditions pour attirer de nouvelles vocations, en les armant pour une pêche durable et une mer vivante, nourricière, en prenant des mesures contre les pollutions terrestres, les marées de planctons toxiques ou d’algues vertes.

Voilà les bases d’une politique maritime conciliant protection de la diversité marine et fonction nourricière de la mer.

Jacques Chérel , janvier 2023

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